Dans la peau du Chêne sessile - Quercus petraea

Oyez oyez chétifs humains ! Me voici, le Chêne sessile, roi des forêts européennes. Avec ma taille dépassant allègrement les 20 mètres et pouvant même atteindre les 40m, avec une circonférence de tronc pouvant aller jusqu’à 3m, j’en impose assurément ! Ne dit-on pas « fort comme un chêne », ou encore « on n’abat pas un chêne du premier coup » ? Arbre sacré des Celtes, je suis également un symbole de longévité et de puissance.

L’arbre rouge

Mon seul véritable rival et cousin se trouve être le Chêne pédonculé (Quercus robur), avec qui je partage de nombreux traits, dont les dimensions titanesques, mais aussi quelques différences. Pour cela, regardez attentivement…

Le plus simple est d’observer nos fruits : les glands. Tandis que ceux de mon cousin pendouillent au bout d’un pédoncule (d’où son nom), les miens trônent fièrement directement sur la branche (d’où la dénomination « sessile », qui signifie « assis » en latin). En l’absence des glands, observez les feuilles : les miennes sont pétiolées (pétiole* de 1 à 3 cm), tandis que le pétiole des feuilles de mon cousin est très court. Et pour les spécialistes, il est même possible de nous distinguer selon le tronc (plus crevassé chez mon cousin) ou la forme de notre houppier (plus tortueux chez le Chêne pédonculé, plus élancé chez moi).

*partie reliant la feuille à la tige (C’est en quelque sorte la «queue» de la feuille)

Glands du Chêne sessile ©Jean-Claude Bouzat
Glands_Quercus_robur
Glands du Chêne pédonculé Depositphotos

Autre différence, je suis le seul chêne à conserver mes feuilles depuis l’automne jusqu’au printemps, qui présentent alors une teinte rousse. D’où mon autre nom de Chêne rouvre, du latin « ruber » signifiant « rouge ».

Enfin, tandis que je m’installe plus volontiers sur les sols secs et bien drainants, ainsi que les collines (on peut m’observer jusqu’à 1600m d’altitude), le Chêne pédonculé se trouve plutôt en fond de vallée, sur des sols plus humides voire en zone inondable, ce que je supporte peu..

De l’humble gland au vénérable chêne

Attardons-nous sur les glands. J’ai beau en produire des quantités astronomiques, seuls quelques-uns, voire un seul, donneront vie à un être remarquable. Car une fois tombé à terre, encore faut-il que ce gland soit enfoui (un grand merci au Geai des chênes, mon fidèle partenaire, et autres écureuils, qui se charge de cette tâche). Puis le gland germe dans de bonnes conditions, sous une canopée clairsemée, pour ensuite s’élancer vers la lumière.

Chene_sessile
©hedera.baltica

Car oui, il s’agit bien d’une course à la lumière qui se déroule les premières années. Il me faut consacrer mes ressources à ma croissance verticale jusqu’à atteindre la canopée. De là, mon houppier pourra se développer, et mon feuillage avec. Sans oublier la croissance de mon tronc, qui me procurera la stabilité nécessaire et dont l’écorce me protégera des agressions extérieures. Sans oublier le développement de mon système racinaire, qui me permettra d’aller puiser des ressources à plusieurs mètres de profondeur. Alors seulement, j’aurai acquis mon statut d’arbre majestueux, 80 ans plus tard, si tout se passe dans de bonnes conditions.

 

D’ailleurs, les plus vénérables d’entre nous dépasseraient les 500 ans d’existence ! Autant dire que nous en voyons passer des générations d’êtres humains.

Un géant à préserver

Malheureusement pour moi, ma force est aussi ma faiblesse. Mon bois, réputé dur et imputrescible, réclamé des ébénistes, vous a servi et vous sert encore pour vos constructions de bateaux, de maisons, de meubles, de tonneaux. Mon branchage vous alimente en bois de chauffage.

Et pourtant, vous avez osé nous remplacer, mes cousins et moi, durant les siècles derniers, par des espèces comme le Chêne rouge américain, à croissance plus rapide, ou encore les monocultures de pins, ces arbres qui modifient les sols, en les rendant plus acides. Le prétexte est toujours le même chez vous : il faut que ça aille vite, il faut que ce soit utile.

Laissez-moi vous rappeler également qu’après mes longues années d’existence, j’ai pu nouer des liens avec de nombreuses espèces de champignons, de lichens, de mousses et d’animaux (oiseaux, chauves-souris, mammifères, etc). Ce ne serait pas moins de 400 espèces qui interagiraient avec moi ! Mes glands fournissent la nourriture, de même que mon bois mort. Les cavités présentes dans mon tronc accueillent certains oiseaux, certaines chauves-souris et d’autres petits mammifères. Ma ramure profite particulièrement à la nidification des oiseaux. Et que dire de mon apport aux paysages ! Qu’ils soient bocagers, forestiers ou même urbain, vous-même reconnaissez volontiers mon aspect souvent remarquable.

Illustration_bois_mort_Helene-Soyer
©Hélène Soyer

Voici donc quelques conseils pour me préserver :

Règle n°1 : ne pas m’abattre ! Si je suis mort, essayez de me conserver en chandelle (voir illustration ci-contre)

Règle n°2 : en cas de travaux d’élagage ou de travaux sylvicoles, organisez-vous pour les faire en hiver, car c’est la période durant laquelle moi et mes hôtes sommes les moins vulnérables.

Règle n°2 : en cas de travaux à proximité, protéger moi des agressions mécaniques, des tassements et de la pollution !

Un arbre plein d’histoires

Avec mes centaines d’années de longévité, j’en vois passer des choses ! Voici quelques anecdotes à vous partager :

  • Autrefois, les cochons étaient amenés dans les forêts pour qu’ils se nourrissent de glands, on appelait cela la glandée. Dans les pâturages et les forêts, les lieux où les cochons se nourrissaient de glands étaient soumis à de strictes lois (droits de glandage) et la valeur des chênaies était calculée en fonction du nombre de porcs qui y paissaient.
  • Les tanins, présents dans le vin, sont issus en réalité du bois dans lequel le vin est conservé!
  • Au siècle dernier, les glands étaient un substitut au café. Des recettes perdurent (https://www.mr-plantes.com/2015/12/cafe-glands-chene/) !

Une chênaie est célèbre par son histoire : la futaie Colbert à Tronçais. Jean-Baptiste Colbert aurait reboisé cette forêt, sur ordre de Louis XIV, afin d’offrir à la marine du bois pour ses bâtiments. Mais comme les bateaux furent construits en acier plus tard, le bois de chêne prévu à cet effet ne fut plus nécessaire. Cette partie de la forêt est désormais classée en zone Natura 2000, en tant qu’habitat remarquable.

Les idées à retenir pour briller à la pause-café :

Le Chêne sessile et le Chêne pédonculé (mais aussi le Chêne pubescent et le Chêne tauzin) s’hybrident. Ces hybridations, qui ne sont pas défavorables au maintien des 2 espèces, pourraient expliquer le succès de ces 2 espèces de chênes lors de la colonisation post-glaciaire du continent européen.

Selon des expérimentations sylvicoles, la croissance des Chênes est d’avantage impactée par la densité de plantation que par le réchauffement climatique. En effet, le Chêne sessile est plutôt bien adapté à la sécheresse.

Les espèces qui se réfugient, qui nidifient ou gîtent dans une cavité sont dénommées les espèces cavicoles. Sans arbre à cavité, pas d’espèce cavicole !

Le houppier représente la partie d’un arbre au-dessus du tronc. Il se caractérise par l’ensemble des branches , des rameaux et des feuilles.

Pour aller plus loin :

Les sites de référence:

Présentation de l’écologie et de la chorologie de l’espèce : https://agriculture.gouv.fr/sites/default/files/160104_qpe_fiche_nr.pdf

Présentation de l’espèce et éléments distinctifs :

 

Symbolique et croyances autour du chêne : https://fr.wikipedia.org/wiki/Symbolique_du_ch%C3%AAne

Les chênes et le changement climatique : Revue forestière française n°1, 2017 : « Adapter les itinéraires sylvicoles pour atténuer les effets du changement climatique. Résultats pour la chênaie sessiliflore française à partir des réseaux d’expérimentations sylvicoles »

La question de l’hybridation chez les chênes :  https://hal.inrae.fr/tel-02821939/document

Photos:
©hedera.baltica
©Jean-Claude Bouzat [CC BY-SA 2.0 FR], via Tela Botanica

Jean-Marie Fournier
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