Dans la peau du Rougequeue noir – Phoenicurus ochruros

Petit passereau des villes, je suis présent partout et pourtant peu d’entre vous sont capables de me voir et encore moins de me nommer.

Vous pensez certainement que la faune des milieux urbains se limitent aux pigeons, aux pies et aux moineaux domestiques, quelle erreur !

Laissez-moi me présenter et j’espère qu’à la fin de votre lecture, vous saurez aussi bien me reconnaître à vue comme au chant.

Un nom simple à mémoriser

Sachez que les naturalistes ne se sont pas foulés pour me donner un nom. Ils ont vu un oiseau au plumage noir avec une queue rouge et l’ont donc appelé « Rougequeue noir ».

Alors vous allez dire que je suis tatillon mais je ne suis pas tout à fait d’accord avec cette description.  Tout d’abord ma queue n’est pas réellement rouge, elle est plutôt orange brique et cette couleur s’étend jusqu’à mon abdomen. Seul le mâle porte un plumage noir avec de petites taches blanches sur les ailes ; tandis que la femelle arbore une couleur « gris-souris » sur le corps.

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©wolfganvogt_pixabay

Des montagnes aux villes

Vous me trouvez en ville mais il ne s’agit pas de mon habitat naturel.

Initialement, j’aime les milieux rupestres, c’est-à-dire rocailleux (les falaises, les éboulis rocheux, les ravins, …). C’est d’ailleurs pour cette raison qu’un de mes surnoms est « le Rossignol des murailles », je me sens bien dans les milieux ouverts et dégagés,

Je fuis les habitats arborés : quand plus de 25% de la végétation est composée d’arbres, je laisse place à mon ami le Rougequeue à front blanc.

D’après les scientifiques, cette expansion de territoire est à mettre en relation avec le développement des sites urbains dont je tire profit pour installer mes nids et cela a également un lien avec l’évolution de l’usage des terres agricoles qui se manifeste depuis la seconde moitié du 19ème siècle en Europe.

Mon aire de distribution est très large. En effet je suis présent de l’Europe de l’Ouest jusqu’en Chine de l’Est. 

En France, je suis sédentaire mais certains de mes cousins présents dans les pays nordiques viennent migrer en hiver en Europe de l’Ouest pour fuir le froid.

Petit oiseau survolté

Je ne suis pas très grand, je mesure entre 10 et 20 cm et pourtant il n’est pas difficile de me voir parce que je ne suis pas du genre à me cacher, au contraire j’aime me montrer.

J’ai l’habitude de me percher en haut des bâtiments, non pas pour vous épier mais parce que j’ai besoin d’une vue dégagée pour repérer mes proies. 

Je suis insectivore, c’est-à-dire que je me régale des insectes et de leurs larves et également des araignées, petits mollusques, lombrics et autres petites bêtes délicieuses. Je suis un chasseur hors pair grâce à mes gros yeux et à mon bec fin, qui me permet d’attraper mes proies au sol ou en vol avec facilité.

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©Franz W_Pixabay

A partir de l’automne, quand les insectes se font plus rares, je peux me laisser tenter par de petits fruits et des baies. Néanmoins, gardez en tête que la chasse à l’affût fait partie de mes activités favorites, j’y dépense beaucoup d’énergie au quotidien.  C’est la raison pour laquelle je n’hésite pas à m’approcher de votre logis et à me poser sur les garde-corps de votre balcon pour étendre mon aire de chasse.

Pour celles et ceux qui auront la chance de me voir de près, vous constaterez que je suis plutôt nerveux, je bouge frénétiquement ma queue de haut en bas quand je suis perché.

Si par cette description, certains se disent qu’ils ne m’ont jamais rencontré, une chose est sûre, vous m’avez forcément déjà entendu.

Et je chante à tue-tête

Mon chant est singulier, on dit qu’il n’est pas mélodieux, je ne m’en offusque pas. En effet, contrairement à mon ami le Rossignol Philomèle, dont le chant est considéré par de nombreux naturalistes comme étant l’un des plus beaux chants d’oiseaux, le mien est court, grinçant et toujours composé de la même phrase. Au moins il n’est pas difficile à retenir !

Pour le reconnaître, à la fin de mon chant vous pouvez entendre un bruit qui s’apparente à un bout de papier que l’on froisse ou au bruit d’un vélo qui roule sur du gravier (chacun sa petite astuce pour le mémoriser). 

Quand vient la saison des amours

J’espère que vous apprécierez ma chanson car quand arrive la saison de reproduction, qui débute généralement au mois d’avril, tous les mâles s’y mettent.

Je défends mon territoire avec force et je chante du haut de mon perchoir pour avertir les autres mâles que le territoire est déjà occupé. Gare à ceux qui souhaitent me défier, je les pourchasserai en criant. Pendant cette période, nous nous égosillons du matin au soir. C’est seulement au moment de la naissance de notre progéniture que nous nous faisons plus discrets, bien occupés à nourrir les poussins.

La saison de reproduction s’étend jusqu’au mois de juillet et nous pouvons avoir jusqu’à 3 nichées dans l’année.

En ville, je bâtis mon nid en général sous un toit, en haut d’un mur, sur un élément de charpente ou encore dans une fissure. En milieux rocheux, toutes les anfractuosités conviendront à condition qu’elles soient munies d’un surplomb. Nous ne sommes pas doués pour faire de jolis nids, ils sont lâches et constitués de feuilles, d’herbes, de mousses. En raison de leur fragilité, nous devons reconstruire notre nid pour chaque nouvelle nichée.

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©Pfüderi_Pixabay

Des oiseaux en déclin

Les études scientifiques ne mentionnent pas d’impact sur nos populations en France en lien avec les activités anthropiques. Néanmoins, en tant qu’espèce insectivore je me permets de présenter un mal qui touche tous mes amis oiseaux fréquentant les milieux agricoles.

Depuis plusieurs années, les scientifiques tirent la sonnette d’alarme concernant l’effondrement de leurs populations. La raison ? L’utilisation massive de pesticides comme les néonicotinoïdes qui sont responsables du déclin des insectes. Or ces insectes constituent la ressource alimentaire fondamentale pour mes amis et pour nourrir leurs oisillons.

La liste des espèces touchées est longue : Alouette des champs, Chardonneret élégant, Perdrix, Pigeon ramier et même les Pies bavardes sont touchées. On estime que 75% des espèces qui fréquentent les milieux agricoles perdent entre 1 et 2% de leur effectif chaque année.

Ces insecticides entraînent également des répercussions sur leur santé, en agissant sur plusieurs organes différents, pouvant induire des lésions sur le cerveau, les rendre malades et par conséquent agir sur leur succès de reproduction.

La liste de l’impact de ces produits sur mes amis est loin d’être finie.

Vous pouvez vous demandez pourquoi je ne suis pas touché. Certainement parce que nos populations sont plus concentrées en milieu urbain et que ces infâmes produits n’y sont pas diffusés à tout bout de champ. J’arrive donc encore à trouver de quoi manger mais ça n’est pas le cas pour les espèces qui fuient les milieux urbains.

Attention, je ne dis pas non plus qu’il fait bon vivre en ville. En outre parce qu’elle a aussi son lot de mauvaises surprises comme le bruit, les lumières constantes ou encore la présence de déchets au sol ; tous ces éléments nous imposent de nous accoutumer et de nous adapter pour survivre.

Par exemple, ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi de nombreux oiseaux comme le Rougegorge familier ou le Merle noir chantent la nuit ? Non, ce n’est pas pour vous chanter une berceuse, mais tout simplement parce qu’ils profitent du calme pour communiquer entre eux.

De même la Mésange charbonnière chante plus fort en journée en ville qu’en milieu naturel à cause des nuisances sonores. 

Bon, je ne vais pas vous citer toutes les pressions que nous, oiseaux, subissons tous les jours. Je pourrai le faire mais les écologues de BE Nat’ me demandent de clôturer cet article, sinon, je vous écrirais un roman sur les causes de l’effondrement des oiseaux mais surtout de la biodiversité en général.

Je vous laisse donc sur cette dernière partie, qui vous fera peut-être réfléchir et prendre conscience qu’il ne faut pas attendre que les villes, villages et les campagnes soient privés de chants d’oiseaux , pour agir pour notre préservation.  

Les idées à retenir pour briller à la pause-café :

  • Je suis une espèce anthropophile, c’est-à-dire que j’ai su m’adapter aux constructions humaines pour vivre et me développer.
  • Je suis semi-cavernicole, c’est à-dire que les anfractuosités dans lesquelles je construis mon nid sont légèrement voire très ouvertes.
  • Nous ne sommes pas grégaires, c’est-à-dire que nous ne vivons pas en groupe. En revanche, lors de la période de reproduction nous pouvons nous retrouver en petits groupes familiaux.
  • Je sais faire du vol stationnaire quand il s’agit de chasser un insecte, mais il ne s’agit pas d’une technique régulièrement employée.
  • Nous pouvons vivre 8 ans, voire jusqu’à 10 ans.
  • Je n’aime pas les températures trop élevées, et suis capable de vivre jusqu’à 2500m d’altitude pour fuir les climats trop chauds.
  • Mon principal prédateur est le chat.
  • Je suis inscrit sur la liste des oiseaux protégés en France, à l’annexe I de la Directive Oiseaux et à l’annexe II de la Convention de Berne

Pour aller plus loin :
Le site de référence INPN : Phoenicurus ochruros S.G. Gmelin, 1774- Rougequeue noir- Présentation (mpnhn.fr)

Crédits photo :
Pierre-Marie Epiney | Flickr

Alicia Denneulin
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