Dans la peau de la Tégénaire des maisons - Eratigena atrica

Bonjour chers bipèdes, je viens plaider la cause des araignées. Malheureusement, je ne suis pas la meilleure ambassadrice : grande, sombre, avec de longues pattes… Je sais bien que je vous inspire angoisse et dégout. Pourtant, je suis parfaitement inoffensive. Alors, je vous en prie, écoutez mon plaidoyer avant de m’écraser à coup de chaussure. 

Je ne suis pas un insecte, ni un monstre velu…

…Je suis une araignée. Tout comme celui de mes consœurs, mon corps est divisé en deux parties : le céphalothorax (portant 4 pattes de chaque côté) et l’abdomen.

Mes « grandes pattes poilues » vous font frissonner. Pourtant, l’appellation de « soies » serait plus appropriée. Nous sommes des animaux soyeux et non poilus. Celles-ci me servent à percevoir le monde extérieur, tel des milliers de petits capteurs. J’ai beau avoir 8 yeux, j’avoue que je ne vois pas très bien.

Moi, Tégénaire des maisons, je fais partie des plus grandes araignées de France. En effet, sans les pattes, mon corps mesure de 12mm à 18mm. Nos messieurs sont plus petits : 10 à 15mm seulement.

Morphologie_araignee
©Hélène Soyer

Mais loin de moi l’idée de vous défier toutes pattes dehors. De toute façon, je ne peux même pas vous mordre : mes chélicères (appendices se terminant par mes crochets) ne sont pas assez puissantes pour percer votre peau. C’est également le cas de mes cousines tégénaires.

Allez, je vous fais les présentations : moi je suis la noire (ou la tégénaire des maisons), mais vous pouvez également rencontrer :

  • Tegenaria domestica – La Tégénaire domestique, qui me ressemble mais en plus petit
  • Tegenaria parietina – La Tégénaire des murs, qui est aussi grande que moi, mais reconnaissable à ses longues pattes annelées.
  • Eratigena agrestis – La Tégénaire des champs, qui vit dans les milieux herbeux ou sous des pierres. Elle est plus petite et plus claire que moi.

Je ne fais que passer… pour habiter chez vous

Je suis solitaire, farouche et nocturne. J’établie ma demeure dans les endroits humides et sombres, comme les creux de rochers, les troncs au sol ou les recoins de garage. J’avoue apprécier vos nids, chers bipèdes, tout particulièrement votre salle de bains. Eh oui, je suis votre colocataire, mais la plupart du temps : vous ne me voyez pas. Rassurez-vous, c’est réciproque. Nous autres les araignées, nous n’avons pas de « vision » de vous en tant qu’individu. Sans vouloir vous offenser, pour nous, vous n’êtes qu’un support au même titre qu’un mur, un cadre ou une table. 

On ne se précipite pas chez vous à l’automne : On y vit déjà. Ce que vous apercevez, vers septembre – octobre, ce sont les déambulations de nos mâles en quête de femelles pour se reproduire. La recherche de la bagatelle les rendant moins prudents, ils vagabondent dans votre logis.

Eratigena _atrica_Tegenaire_noire

Pour ma part, je peux me déplacer pour changer de cachette mais, comme les autres femelles, je reste la plupart du temps sur ma toile. Je suis assez fière de ma construction. Elle se prolonge par un « tube » m’offrant un lieu idéal pour le gite et le couvert.

Ma demeure est si raffinée, que mon nom Tegenaria est issu du latin Tegetarius signifiant « fabricant de couverture ». Vous nous trouvez laide, mais avouez que notre art vous fascine et vous a rendu bien des services. La légèreté et la résistance de la soie de nos toiles vous a inspiré la conception de nombreux matériaux et ce, dans des domaines variés.

Toile_Tegenaire

 « Quelques gouttes de rosée sur une toile d’araignée, et voilà une rivière de diamants. »

Jules Renard

Ni agressive, ni envahissante, ni maléfique

Comme dit précédemment, je ne peux pas vous mordre et je suis solitaire. Je ne vais donc pas monter une armée et envahir votre salon pour vous boutez hors de votre maison. Mes proies sont des insectes, plus petits que moi, qui se sont malencontreusement empêtrés sur les fils de ma belle toile.

Si vous souffrez de ma vue : détourner le regard ! Mais par pitié, ne m’écraser pas et ne me jetez dehors l’hiver. S’il y fait trop froid pour vous, c’est également le cas pour moi. En revanche, votre garage m’offrira plein de recoins pour m’installer confortablement, en diminuant le risque de « rencontres fortuites ».

Néanmoins, si vous souhaitez me déplacer, faites-le avec délicatesse ou vous me blesserez. Mes pattes qui vous rebutent tant, sont très fragiles. Le plus simple est de m’emprisonner à l’aide d’un verre et de glisser soigneusement un papier entre le mur et le bord du récipient. Cette opération me stresse : vous me verrez paniquer, courir, gesticuler…mais je ne pourrais toujours pas vous mordre. 

©Hélène Soyer

Comme tout être vivant, j’ai le droit d’exister

J’espère qu’à défaut de me trouver attrayante, vous aurez plus d’empathie pour moi. Remarquez, je ne peux pas vraiment vous en vouloir : l’arachnophobie est l’une des phobies les plus communes. Je m’interroge souvent : pourquoi diable avoir peur d’une créature beaucoup plus petite que soi ? Cette peur irrationnelle serait-elle culturelle ?

En effet, votre littérature regorge d’horribles créatures poilues à huit pattes : Dans Le Seigneur des Anneaux de J. R. R. Tolkien, les personnages doivent combattre un terrible monstre à l’allure arachnide. Dans Harry Potter de J. K. Rowling, la forêt interdite est hantée par Aragog, l’araignée géante et sa progéniture. Cependant, il n‘existe aucun récit (réel ou fictif) d’attaque de tégénaires enragées !

En outre, les arachnides s’avèrent être les héroïnes de certains contes. Comme celui d’Arachnea, meilleure tisseuse qu’Athéna, qui se vit condamnée par la déesse à être changée en araignée pour l’éternité. Ou encore Zhīzhū, le porte-bonheur chinois représentant une araignée sur un pied humain. Même Victor Hugo nous a rendu hommage dans son texte « J’aime les araignées et les orties ».

Toujours pas convaincus ? Sachez qu’une de nos fans, l’arachnologue Christine Rollard, propose des séances de désensibilisation. Il ne s’agit pas de vaudou mais d’atténuer vos peurs par un discours scientifique.

Alors, avec ou sans Mme Rollard, je vous invite donc à en apprendre plus sur mes consœurs et moi : pour dépasser vos peurs ou, a minima, apprendre à nous respecter.

Les idées à retenir pour briller à la pause-café :

Les tégénaires, tout comme les autres araignées, ne sont pas des insectes mais des arachnides : ordre regroupant, entre autres, les scorpions, les acariens et les araignées.

Les araignées sont dépourvues de dard. De ce fait elles ne piquent pas mais mordent avec leurs chélicères se terminant par des crochets.

On recense plus de 47 800 espèces d’araignées décrites dans le monde. En 2023, 1 631 espèces sont dénombrées en France, selon l’UICN France. Concernant les tégénaires, ce genre compte 130 espèces connues au monde (dont environ 70 en Europe).

Les araignées sont arrivées avant les dinosaures. En effet, les premières traces d’araignée fossilisées remontent à -305 millions d’années (Ma). Le premier fossile complet d’une petite mygale a été trouvé dans les grès du nord des Vosges et date de – 230 Ma.

Les araignées ont inspiré de nombreuses solutions de biomimétisme (ingénieries et concepts inspirés du vivant).

Vous souhaitez mieux connaitre notre belle araignée, la tégénaire des maisons :

Photo entête de l’article : © Image by Conall

Hélène SOYER
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