- Jean-Marie Fournier
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- 07/04/2025
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Dans la peau du Jonc fleuri – Butomus umbellatus
Un jonc qui fleurit… les personnes attentives se diront « mais tous les joncs ne fleurissent-ils pas ? ». Exact. Et d’ailleurs, je ne suis même pas un jonc. Quézaco ?
Explications
En réalité, je peux, de loin et dans le brouillard (ou sans mes fleurs), ressembler à un jonc, d’autant plus que j’affectionne tout particulièrement les bords des eaux calmes, tout comme certains joncs (à moins que ce rapprochement ne soit dû aux usages passés, car j’étais utilisé dans la vannerie, comme les joncs ?). A l’inverse, ma floraison est nettement plus remarquable et éclatante que celles de mes comparses, dont les teintes allant du vert au brun sont peu distinguées, et dont les fleurs sont plutôt réduites. Voyez-vous ça ! Mon ombelle déploie des couleurs allant du blanc crème au rose vif. Incomparable. Tu m’étonnes que je sois une star dans le milieu de l’horticulture.


Trêve de plaisanteries
Et pourtant, ma floraison, qui s’étale de juin au mois d’août, est de moins en moins visible. Nos populations régressent sous l’effet de la disparition des habitats qui nous sont chers, à savoir les roselières et autres prairies à hautes herbes en bordure des étangs, à cause des pratiques du drainage et de l’irrigation. Bien que notre situation soit jugée « non préoccupante » (sympa !) en France, il est des régions qui nous considèrent espèce « menacée », comme en Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées, Ile-de-France et PACA, ou « quasi-menacée » sur toute la partie ouest du territoire métropolitain. Curieusement, nous sommes protégés par endroits, mais pas forcément dans les régions où nous sommes menacés !
La revanche du Jonc fleuri
Puisque je suis sur ma lancée (les statuts, la réglementation, tout ça), j’aimerai évoquer une réflexion : nous sommes donc plutôt mal barrés en Europe, mais invasifs en Amérique du Nord. Comment se fait-il ? Est-ce possible d’être peu présent dans sa région d’origine, et envahissant ailleurs ? Parfaitement. Car en vérité, lorsqu’on parle d’espèce invasive, on devrait plutôt dire « population invasive ». La notion d’invasivité se considère par rapport à la région biogéographique d’origine de l’espèce : une espèce ne peut pas être invasive dans sa région d’origine, car elle fait partie du cortège d’espèces présentes depuis des siècles, et ayant co-évolué avec les autres espèces présentes. A l’inverse, lorsque cette même espèce déboule (souvent à cause de vous, on est d’accord) dans une région avec d’autres cortèges d’espèces, c’est -potentiellement- le drame. Et j’ai un atout dans ma poche : je suis capable de reproduction végétative, c’est-à-dire grâce à un rhizome, sorte de grosse racine, qui se propage et donne de nouveaux individus.

En petit comité
Et puisque je parle de ma famille, il est également un fait intéressant à rapporter : notre espèce en est la seule représentante actuelle (pas de tonton, pas de tata) ! En effet, la famille des Butomacées ne contient qu’une seule espèce : Butomus umbellatus. Vous aurez probablement deviné que le terme « umbellatus » se rapporte à mon ombelle que j’ai tant vantée. Mais qu’en est-il de « butomus » ? Et bien cela signifie, littéralement et en latin, « qui coupe la langue des bœufs ». L’explication tient à nos feuilles qui sont coupantes, alors méfiez-vous.
A nos pieds, souvent dans l’eau ou dans la vase, s’abritent régulièrement des crustacés d’eau douce, des petits poissons ou encore des tritons. Une véritable nurserie ! Ça compense la famille réduite.
Et nos amis les insectes nous pollinisent (merci les syrphes et les abeilles), permettant ainsi une reproduction sexuée. Nos graines, quant à elles, se dispersent principalement via les eaux que nous bordons.
Et en cuisine ?
De ce qu’on m’a rapporté, nos rhizomes, riches en amidon, peuvent être cuisinés sous forme de farine, pour en faire des pains ou des galettes. Si ça vous fait envie, je vous laisse essayer. Moi, je retourne prendre un petit bain de soleil.

Les idées à retenir pour briller à la pause-café :
Ombelle : Fleurs dont les pédoncules sont tous rattachés au même point. Bien que le Jonc fleuri ait une ombelle, cette espèce ne fait pas partie des ombellifères, famille de plantes partageant cette caractéristique.
Population : groupe d’individus de la même espèce qui sont plus susceptibles de se reproduire entre eux qu’avec des individus d’une autre population, car partageant souvent la même répartition spatiale.
Mégaphorbiaie : se dit d’une prairie à hautes herbes ; c’est un des habitats de prédilection du Jonc fleuri
Hydrochore : mode de dispersion des graines grâce aux mouvements de l’eau
Invasive / envahissante : invasive se dit d’une espèce qui se développe de manière spontanée en dehors de son aire d’origine, et pouvant rentrer en compétition (pour les ressources, pour l’espace, l’accès à la lumière, etc) avec les espèces locales ; envahissante est un terme moins précis, décrivant une espèce qui prolifère, souvent en contradiction avec les usages souhaités.
Vous souhaitez mieux connaitre le Jonc fleuri, ou Butome en ombelle, c’est par ici :
- Le site scientifique de référence : fiche INPN
- Les fiches descriptives de l’espèce sur
- Tela Botanica : Fiche espèce – Tela Botanica
- Conservatoire Botanique National du Bassin Parisien : Fiche espèce – CBNBP
- Une chronique intéressante et bien illustrée sur le Butome en ombelle : https://www.zoom-nature.fr/le-jonc-fleuri/
Ecologue, il est spécialisé en botanique: vous pourrez le croiser entrain d'observer la flore, sur les milieux naturels mais aussi urbains. A moins qu'il ne soit munis de sa tarière car Jean-Marie est également expert dans la reconnaissance et le fonctionnement des zones humides
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