Dans la peau de… l’Alouette des champs - Alauda arvensis

Bien le bonjour les humains ! Cette voix, vous la connaissez n’est-ce pas ? Mais si enfin, c’est moi, l’Alouette des champs !

On s’est sûrement déjà croisés,
Même si vous ne m’avez pas vue.
Car si mon plumage est discret,
C’est par mon ramage que je vous salue.

De la couleur des blés

Oubliez les couleurs vives de vos mésanges et de vos bouvreuils, ma beauté est toute autre : subtile, furtive… cryptique.

Mon plumage a la couleur de la terre et les motifs de l’herbe sèche. Seul mon ventre est blanc, mais ne vous inquiétez pas pour moi, il est bien dissimulé lorsque je me déplace au sol ou que je couve mes œufs. Eux aussi sont ternes et mouchetés, comme l’herbe qui tapisse le nid dans lequel je les ponds. Tout est fait pour être invisible. Je suis un peu plus grande que les moineaux qui fréquentent vos villes, pourtant je suis bien plus discrète. C’est essentiel pour des oiseaux comme nous, qui vivons à découvert, nichons à même le sol et ne pouvons pas semer nos prédateurs à travers des branchages. Même si vous venez me rendre visite, vous risquez donc d’avoir du mal à m’observer de près, et à me différencier des pipits et des bruants qui partagent mon habitat et mon allure. Pour vous assurer que vous avez bien affaire à moi, ne me cherchez pas des yeux : tendez plutôt l’oreille.

Alouette_des_champs_Imran_Shah

L’alouette des… chants ?

Petite fausse note sur l’orthographe, mais le fond est tout à fait juste. Après tout, je suis à la fois celle que vous chantez à vos enfants et qui se donne en spectacle dans vos campagnes. De mars à juillet, je chante sans m’arrêter, du matin jusqu’au soir et parfois même en début de nuit. Je chante parfois depuis un perchoir ou à même le sol, mais c’est le plus souvent haut dans le ciel que ma voix résonne. Ce petit point sombre que vous voyez papillonner à plus de cinquante mètres de hauteur, c’est probablement moi. S’il en émane ce chuchotement ininterrompu qui rythme vos campagnes, ne me cherchez plus : vous m’avez trouvée.

Saviez-vous que je chante pour les mêmes raisons que vous ? L’amour et la guerre inspirent toutes les espèces, et chanter me permet à la fois de séduire ma belle et de défendre mon territoire. C’est que ce lopin de terre au-dessus duquel je m’agite est particulier, vous comprenez : il abrite toutes les graines et jeunes pousses dont je pourrai me nourrir, et tous les insectes que je rapporterai à mes petits. Alors pour signaler qu’il m’appartient, j’ai choisi une manière plus élégante que celle de vos poilus de compagnie. Je chante.

Alouette_des_champs_Neil_Smith

Que dis-je, je chante ? Je suis une orfèvre !
Je grisolle, je tirelire, comme vous dites, je turlute,
Et ce sans faire de pauses, durant de longues minutes !
Mais je sais la question qui vous brûle les lèvres :
« Quel est donc ton secret, chanteuse invétérée,
Pour faire de si longues phrases sans jamais respirer ? »

Voilà une réflexion typique des humains ! Vous imaginez que pour chanter, il faut forcément s’arrêter de respirer mais ma voix, voyez-vous, ne fonctionne pas comme la vôtre. Je n’ai ni cordes vocales, ni larynx : mon instrument s’appelle le syrinx. Il fonctionne comme un sifflet : situé à la base de mes bronches, il fait vibrer l’air qui le traverse dans un sens comme dans l’autre, ce qui me permet de respirer tout en chantant. Mes phrases peuvent ainsi durer jusqu’à cinq minutes, sans silence ni ponctuation.

Alouette, gentille alouette

Comme c’est aimable de votre part ! Vous avez écrit une comptine à mon sujet, et vous y racontez ma gentillesse ! Que dites-vous ? Vous me plumerez ? Je préférais le début de votre chansonnette. Et j’aurais préféré que vous vous arrêtiez à ces menaces, car ce que vous dites est erroné : vous ne me plumerez pas, vous me plumez déjà depuis longtemps.

Par « tradition », pendant plus d’années que je ne sais en compter, vous avez tendu des filets et disposé des cages pour tuer les miens. Chaque saison, vous avez tué mes congénères par centaines de milliers. J’ai cru cette année que cela s’arrêterait, mais vous êtes revenus sur votre décision, et avez réautorisé les pièges que vous veniez d’interdire. Je ne chercherai pas de justice en vous demandant pourquoi : je sais que je n’ai rien fait pour mériter ça. Je ne transmets pas de maladies, je n’occasionne pas de dégâts dans vos cultures et je n’abîme pas vos bâtiments. Vous me chassez car vous l’avez décidé, c’est tout.

Pourtant, vos pièges ont mauvaise presse ces temps-ci et, je l’espère, je ne les verrai bientôt plus dans vos champs et vos prairies. Heureusement, car aujourd’hui, mon chant ne résonne plus autant qu’autrefois dans le monde rural.

alouette des champs dessin
©Hélène Soyer

L’alouette déchante

Près d’un quart de mes congénères a disparu en 30 ans. Cela ne vous a pas suffi de me chasser, vous avez rendu vos campagnes inhabitables pour mon espèce. Je sais que vous ne l’avez pas fait exprès. Vous les avez aménagées pour vous, sans nous demander notre avis. Vous vouliez agrandir vos champs pour faire passer vos machines, alors vous avez arraché les haies. Vous vouliez protéger vos cultures des insectes, alors vous les avez aspergés d’eau toxique pour les tuer.

Et mes sœurs ont mangé les graines imbibées. Elles ont nourri leurs petits avec les insectes contaminés. Elles ont construit leurs nids sur le passage de vos machines.

Je ne vous en veux pas. J’espère simplement que maintenant que vous m’avez entendue, vous penserez à moi. Après tout, vous ne l’avez pas fait exprès. Vous ne l’avez même pas vu… comme toujours.

Les idées à retenir pour briller à la pause-café

Plumage : On dit d’un animal qu’il est cryptique lorsque la couleur et les motifs de son plumage, pelage, écaillure ou autre, lui permettent de se confondre aisément dans son environnement, par camouflage ou mimétisme.

Syrinx : C’est l’organe vocal des oiseaux, qui remplace l’ensemble cordes vocales – larynx des mammifères. Il leur permet de respirer tout en chantant et donc de chanter sans s’arrêter pendant plusieurs minutes.

Nidification : Comme de nombreux autres oiseaux, l’Alouette des champs niche à même le sol. Elle tisse une coupe avec des herbes sèches qu’elle installe dans une cuvette, dissimulée dans la végétation. La couleur de son plumage et de ses œufs leur permet de passer inaperçu.

Comptine : « Alouette, gentille alouette » fêtera bientôt ses 150 ans. On ignore pourquoi le narrateur souhaite plumer l’alouette, mais deux hypothèses sont privilégiées : dans l’une, elle serait une commère incapable de tenir sa langue ; dans l’autre, elle forcerait les amants à se séparer en annonçant par son chant la venue du matin.

Vulnérabilité : En raison du déclin de ses effectifs, elle est désormais considérée comme « Quasi-menacée » à l’échelle nationale. En Bretagne, elle est classée « Vulnérable » et fait partie des espèces menacées d’extinction dans la région. A l’origine de ce déclin, l’intensification de l’agriculture et la disparition des insectes.

Chasse : En 2013, en additionnant les tirs et les chasses traditionnelles, 468 000 alouettes ont été tuées par les chasseurs lors d’activités cynégétiques. Ce nombre est en diminution depuis les années 2000. Un bras de fer judiciaire est en cours entre l’Etat, les associations de protection de la nature et les fédérations de chasse concernant les chasses traditionnelles à la matole (cages) et aux pantes (filets horizontaux). Après les avoir interdites en mai 2024 sur décision du Conseil d’Etat pour leur caractère non sélectif (capture d’autres espèces que les alouettes), deux départements les réautorisent en novembre 2024 à titre expérimental pour évaluer leur sélectivité.

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Source photo :
Neil Smith | Flickr
Imran_Shah | Flickr
Arnstein Rønning

Romane Fort
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